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ANGEL

Editions TransPhotographic Press 2011
Texte de Wim Wenders

(en bas de page)

ANGEL / Un ange passe… Par Wim Wenders
Il arrive que de temps à autres, au cœur d’une conversation animée ou d’une réunion bruyante,
un silence soudain se produise. « Un ange passe… » pourrait-on entendre murmurer
alors que le silence demeure pour encore de toutes petites secondes.
Curieux, n’est-ce pas, qu’une telle expression ne se réfère qu’au silence ?
Pourquoi la limiter à l’expérience auditive ? Serait-ce parce que les anges sont invisibles ?
Ne sauraient-ils nous donner des signaux visuels pour annoncer leur présence furtive ?

Si nous transposions cette expression à l’acte de voir ?
Quand et dans quelles circonstances dirions-nous « Un ange passe… »,
si vous voyiez le phénomène en question, plutôt que de l’entendre ?
Qu’auriez-vous besoin de voir pour y associer la présence d’un ange ?
Existe-t-il ce qui ressemblerait à un soudain « silence visuel »,
– si vous me permettez l’oxymore – qui rendrait cet instant précis,
si perceptible qu’il vous transporterait dans un état de transcendance, à défaut d’un autre terme ?

En y réfléchissant, j’ai vécu de pareilles expériences.
D’ailleurs, la plupart des photographes s’accorderont à dire
que de tels instants surviennent réellement au cours de leur vie et de leur travail.
Sauf qu’ils les nommeraient autrement, et sans doute n’évoqueraient-ils pas une présence céleste.
Alors, l’oxymore « silence visuel » n’est finalement pas si exagéré.
je serais tenté de dire qu’à mon sens, le « silence visuel », est une définition possible de la photographie.
Voire une condition de l’acte photographique,
quelque chose qui précèderait le moment de photographier,
un espace de tangible sérénité, de « paix » palpable, d’harmonie, de promesse…

Une telle condition est-elle obligatoire ?
La plupart des photographies ne nécessitent point d’être précédées d’un moment extatique
ou que celui-ci joue un rôle majeur dans leur processus de création.
Et pourtant, il y a un genre particulier d’images qui l’exige. Absolument !
Pour être moi-même photographe, j’ai la réponse :
dans cette seconde où le sujet apparaît, surgit, se révèle,
le désir de le photographier s’accorde simultanément avec l’action de lever l’appareil, de viser et déclencher.
Alors vous touchez un moment d’extase, – voire un instant de grâce –
vos yeux sont« radiocommandés », vous réfléchissez à peine, parfois même sans chercher à cadrer : c’est là !

Ne nous méprenons pas : je ne parle pas ici d’ « instantanés » !
Je suis (toujours) dans le domaine de la transcendance, dans le moment éphémère de l’extase photographique,
avec l’ange (métaphorique ou non) qui passe.
Si vous suivez l’indication de l’ange, vous aurez capté quelque chose qui tient de ce « silence visuel ».
Je le redis, seule une précieuse petite quantité de photographies sont prises ainsi…
Le calme qui précède (et produit) le passage de l’ange échappe à de nombreux appareils photographiques.
Le temps d’hésiter, et l’ange s’évapore. Seul l’instinct peut vous mener aux photographies « guidées par l’ange ».

Les photographies du livre que vous tenez entre vos mains sont une bien meilleure définition
de ce que je tente d’expliquer au prix d’efforts verbaux et de tournures maladroites.
Ronan Guillou fait partie des quelques photographes que je connais
qui ont l’œil (et l’oreille de l’âme) prêt à saisir ces instants éphémères.
Il est vrai que je vois l’ange passer dans nombreuses de ses images.

Ce qui m’enchante dans les photographies du livre de Ronan Guillou,
c’est que toutes ces images sont trouvées. Elles rayonnent de réalité.
Je ne peux renoncer à l’idée que trouver est devenu plus créatif qu’inventer.
(Je sais que cette thèse est en opposition avec la philosophie actuelle du métier)

Cependant, on ne trouve pas comme ça, d’un seul trait, sous le coup de la chance.
D’abord il faut chercher. Et il faut savoir où chercher. Savoir quand voir ce que l’on cherchait.
Ronan trouvait (et regardait) en Amérique,
c’est en cela que sa précieuse collection d’offrandes a d’autant plus de signification pour moi.
Les Etats-Unis sont un territoire difficile pour les photographes une aire abondante de « déjà-vus ».
Je parle en connaissance de cause, pour avoir moi-même été exposé trop de fois à ces dangers.

Ronan a échappé à la plupart de ces pièges.
Les Américains qui le regardent dans ces photographies
apparaissent dans la brèche pour que l’ange de la photographie puisse leur distiller la lumière…
Je remercie l’ange d’être passé. Et je remercie Ronan de l’avoir aperçu,
et dans un murmure, de nous l’avoir annoncé…

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