Deuxième volet de la série Temps, réalisé dans la période de pandémie (2021) sur
la côte de Granit Rose (Côtes d'Armor), chaos rocheux vieux de 300 millions d'années.
TROUBLES DANS LA PERCEPTION par Fabien Ribery
Après des années passées à arpenter les États-Unis pour des séries et des livres montrant un pays renouant, jusque dans la déréliction sociale, avec le mythe d’un espace sauvage à conquérir ou reconquérir, le photographe Ronan Guillou a décidé, pour un voyage de nature initiatique, de revenir quelques temps chez lui, en Bretagne, et d’interroger la géographie étrange des rivages du Trégor, dans les Côtes d’Armor.
Le retour s’effectue en noir et blanc, non par effet de nostalgie, surtout pas, mais parce qu’il s’agit pour lui de faire correspondre à un paysage donné particulièrement troublant, marqué par des mouvements telluriques intenses, l’atemporalité de structures inconscientes informant son regard.
Le silence est intense, pourtant tout parle, tout exprime, tout est langage et signes ambivalents.
Le calme est une tempête, la paix est une violence stoppée.
Des yeux discrets épient le spectateur, ce sont des roches tremblantes, des figures anthropomorphes, des animalcules très drôles.
S’il photographie d’abord des chaos de pierres, Ronan Guillou capture in fine des fantômes minéraux, des êtres doués de malice, des juges suprêmes dans un film hollywoodien tourné en terre d’Armorique.
On trouve dans ses images des géants, des grands-pères turbulents, des enfants sauvages.
Il y a ce que nous voyons, mais aussi ce que nous croyons voir, et ce que notre esprit refuse d’admettre.
Il y a le temps humain et le temps géologique, inconcevable, de l’ordre d’une stupeur. Par le jeu des paréidolies, chacun trouvera en ses amas
chaotiques matière à fantasmes, en découvrant que le spectacle de la nature est avant tout intérieur, et que toute contemplation véritable est de l’ordre d’une introspection.
A sa façon très calme, très concentrée, Ronan Guillou en Bretagne continue à photographier le far west, les tumbleweeds des plaines de l’Arkansas s’étant figés en des monstres rocheux déroutants, l’artiste poursuivant avec sa nouvelle série une réflexion constante sur l’autre comme inconnu, qu’il soit humain ou d’un autre règne.
Aucun surplomb ici, mais une forme de tendresse fascinée pour ce qui est simplement, puissant dans l’érosion, inamovible dans la lente destruction.
Comme le fait dire Wim Wenders à son personnage Philip Winter dans son film Alice dans les villes, photographier, c’est chercher la preuve de son existence. Ronan Guillou appelle d’ailleurs photographie d’expériences son utilisation du médium, expérience avec l’autre, avec les lieux, les couleurs, les formes.
Il se peut ainsi que les roches de granit rose lui faisant face possèdent de ses premiers moments sur Terre la mémoire supérieure de sa présence, comme un conservatoire.
En regardant ses images, nous faisons l’expérience de l’importance en son travail des notions de rive, de seuil, et d’élément marin.
Mais avant tout, aux Etats-Unis comme en ses terres natales, Ronan Guillou photographie des éléments de légendes, les épousailles du vide et du plein, une possibilité de se mouvoir ensemble dans l’unité et l’incompossible. Qui étions-nous déjà il y a trois-cents millions d’années ?
F R